Phoolan Devi

naît le jour de la Fête des Fleurs à Sheikpur Gura, dans la province rurale de l’Uttar Pradesh, en 1963. Elle appartient, avec ses parents et sa fratrie de cinq enfants, à la basse caste des mallahs - un peu au-dessus des intouchables, mais très loin de la caste sacrée des brahmanes. Son enfance, misérable, prend fin prématurément à 11 ans, quand son père la vend à un homme d’une caste supérieure, de 20 ans son aîné, contre deux meubles et une génisse. Violée par son mari, battue et affamée, elle finit par retourner vivre chez ses parents. Sa situation ne s'améliore guère : pour le village, une femme qui annule son mariage est une femme sans honneur. C’est l’Uttar Pradesh des années 1970, les villages ruraux, les exigences de castes : les femmes doivent choisir entre la soumission patriarcale et le suicide.

Mariée de force à 11 ans, cheffe de gang à 18

Phoolan Devi, elle, se rebelle. Sa famille est exploitée par les propriétaires terriens de la classe dominante, les thakurs. L’adolescente de 14 ans, la paria, l’illettrée, défend la cause de son père à l’assemblée du village. Les thakurs ulcérés l’accusent de vol et la livrent à la police. En cellule, elle est violée par les agents et livrée aux criminels de droit commun. Après trois jours d’abus, elle est jetée à la rue. Mais les maltraitances ne parviennent pas à la briser. Quand elle apprend qu’un oncle a spolié un lopin de terre appartenant à son père, elle le dénonce et réclame son dû. Pour la faire taire, l’oncle commandite son kidnapping et son assassinat par des Dacoïts, un groupe de bandits de grand chemin qui sévit dans la région.

 

Là encore, elle subit violences et sévices sexuels, notamment de la part du chef de gang, un thakur. Alors que ce dernier tente une nouvelle fois de la violer, il est abattu par l’un de ses hommes, Vikram. Comme la plupart des Dacoïts, Vikram est un mallah. Devenu le nouvel alpha du groupe, il prend Phoolan sous son aile. Les deux jeunes gens finissent par se marier et, très vite, Phoolan se retrouve aux côtés de Vikram à la tête du gang. Vivant dans la jungle, les Dacoïts parcourent l'Etat de Madhya Pradesh en pillant les villages, rançonnent les riches et attaquent les camions et les trains. Ils ciblent tout particulièrement les thakurs, qui maltraitent ou violent les paysans des castes inférieures. En jeans et bandana rouge, Phoolan porte aussi un fusil Mauser et un mégaphone, pour annoncer son arrivée. A moins de 20 ans, elle devient pour les basses castes le Robin des bois indien.

13 février 1981, le « massacre de la Saint-Valentin »

 

Les amants vagabonds finissent par être trahis par un de leurs hommes, Shri Râm, un Dacoït thakur. Il abat Vikram et ses compagnons en pleine nuit et enlève Phoolan. La jeune veuve se réveille à Behmaï, un hameau thakur, où elle est tenue captive et violée par les villageois pendant 23 jours. Pris de pitié, un brahmane compatissant l’aide à s’enfuir ; sa trahison découverte, il est brûlé vif. Phoolan Devi ne l’oubliera pas. Elle reconstitue son gang et, le 14 février 1981, retourne à Behmaï. L’assassin de son mari n’est pas là - ses tortionnaires, si. En quelques heures, elle et son gang abattent vingt-deux thakurs. Le « massacre de la Saint-Valentin » est la plus grande tuerie de l’histoire du banditisme indien.

Le récit de ses exploits gagne la capitale et fait la une des journaux. Phoolan Devi est déclarée « ennemi public numéro 1 » par le pouvoir, et devient l’héroïne du peuple. La Première ministre Indira Gandhi promet sa capture, 2 000 policiers la traquent pendant deux ans. En cavale dans les ravines de la Chambal, la « Reine des bandits » reste introuvable. Le président de la région et futur Premier ministre indien, Vishwanath Pratap Singh, est contraint de démissionner. Affaiblie physiquement et témoin de la mort de plusieurs de ses hommes, Phoolan Devi finit par accepter de se rendre. Mais à une date bien précise, au cours d’une cérémonie qu’elle a elle-même mise en scène, et selon ses propres exigences : pas de pendaison pour elle, une peine de prison limitée pour ses hommes, un terrain pour son père et un poste au gouvernement pour son frère. Le 14 février 1983, toujours coiffée de son bandana rouge, elle dépose les armes devant une photo du Mahatma Gandhi et de Durgâ, la déesse indienne de la force. Elle ne sera jamais jugée, mais restera onze ans en prison.*

 

La « Reine des bandits » devient députée

 

Mulayam Singh Yadav, le Premier ministre de l'Uttar Pradesh, lui-même de basse caste, fait libérer Phoolan Devi sur parole en 1994. Elle se convertit alors au bouddhisme - et à la politique. Des biographies sont publiées à la même époque, ainsi qu’un film de Shekkar Kapur, « Bandit Queen », qu’elle désavoue personnellement mais qui achève de l'ériger en icône du peuple.

En 1996, elle adhère au Samajwadi Party, le parti socialiste fondé par Yadav, et se présente aux élections législatives dans la circonscription de Mizrapur. Son programme est axé sur la défense des droits des femmes et des basses castes. Bouddhiste mallah, elle l’emporte sans peine face à un adversaire thakur affilié au parti hindouiste Bharatiya Jamata. En 1997, Phoolan Devi est présentée en tant que candidate au prix Nobel de la Paix. Elle est réélue au Parlement en 1999. Malgré son soutien populaire, la députée d’Uttar Pradesh est haïe par les hautes castes qui freinent son action politique. Les thakurs, en particulier, ne lui ont pas pardonné le massacre de la Saint-Valentin.

 

Le 25 juillet 2001, alors qu’elle rentre chez elle, dans un quartier chic de New Delhi, après une session au Parlement, Phoolan Devi tombe dans un guet-apens et est abattue par trois hommes masqués. Elle n'a que 38 ans. C’est un thakur, Sher Singh Rana, qui avoue le crime à la police quelques jours plus tard. Il sera condamné en 2014 à la prison à la perpétuité. Après l’assassinat de Phoolan Devi, le président Kocheril Raman Narayanan a affirmé publiquement que « sa vie était une histoire de rébellion et de défis réussis devant l'oppression et l'exploitation ». Une rébellion qui ne lui était pas étrangère, lui qui fut le premier président intouchable élu en Inde. Peut-être la preuve que le combat de Phoolan Devi n’aura pas été vain.

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