Kondinji, le village des jumeaux.

Le fort pourcentage de naissances gémellaires relevé dans le village de Kodinji, dans le nord de l’Etat du Kerala, intrigue. En effet, 440 jumeaux vivent dans cette localité de 14 600 habitants : un chiffre hors normes.

Au premier abord, Kodinji paraît tout à fait normal. Comme beaucoup d’autres villages du Kerala, il est bordé de cocotiers, sillonné de canaux et parsemé de rizières. Mais, lorsqu’on s’enfonce dans ses ruelles étroites, on croise un grand nombre de visages identiques. Il faut y ajouter tous les jumeaux qui ne se ressemblent pas, car le village compte davantage de faux jumeaux, issus de deux ovules, que de vrais, nés d’un seul.

Ce phénomène est resté relativement inaperçu jusqu’en 2001, année d’ouverture de l’école primaire publique Mappila. On a alors constaté que la liste des inscrits comprenait plus d’une dizaine de jumeaux ayant des prénoms très ressemblants comme Sahla-Suhaila, Tazna-Farzna et Lubana-Lubama. Aujourd’hui, l’établissement compte une vingtaine de jumeaux et trois triplés.
“La moyenne nationale de naissances gémellaires est de 8,1 pour 1 000. Mais ici il y a un minimum de 45 pour 1 000”, indique K. Sribiju, un dermatologue qui collecte les données sur ce phénomène. “Nous n’avons pas encore réalisé d’enquêtes à domicile. Je suis sûr qu’en fait il y en a plus de 500, d’un âge compris entre quelques semaines et plus de 85 ans.”
Des experts qui ont observé un phénomène similaire dans une tribu du Nigeria l’ont attribué à la présence importante d’hormones folliculo-stimulantes (FSH) chez les femmes de ce groupe. L’explosion du nombre de jumeaux à Kodinji n’a pas encore fait l’objet d’études scientifiques, mais on dispose déjà d’un certain nombre d’informations. Ainsi, en 2008, sur les 300 enfants nés en bonne santé dans le village, on a recensé 30 jumeaux et, pour les cinq dernières années, leur nombre atteint 60. “Ce qui est très intéressant, c’est l’augmentation des naissances gémellaires au fil des ans, observe le Dr Sbribiju. Au cours des dix dernières années, le nombre de jumeaux à Kodinji a doublé.”

Les jumelles Kunhipathutty et Pathummakutty, âgées de 65 ans, conviennent qu’auparavant il y avait beaucoup moins de jumeaux dans le village. Et les informations recueillies par Twins & Kin (TAKA), une association créée récemment qui compte 600 membres, dont 204 jumeaux et leurs parents, confirment la forte progression du nombre de naissances gémellaires : alors que la tranche des 41-60 ans compte 18 jumeaux, on en dénombre 162 dans celle des 5-15 ans.
La plupart des jumeaux sont issus de familles pauvres, et leur naissance ne fait qu’alourdir le fardeau qui pèse sur leurs parents. Les terres ayant été découpées au fil des ans, les familles ne peuvent plus vivre de leur exploitation et la plupart des hommes sont employés à la journée. Bushara Mohammed Kutty, une jeune femme de 30 ans, a des triplés – Jasna, Fasna et Husna –, et son oncle a des jumeaux. “Plus on en a, plus on est contents, mais à condition d’avoir les moyens, dit-elle. J’espère qu’un bon Samaritain nous viendra en aide. Mon mari est le seul soutien de la famille. Il travaille à Bombay dans une petite affaire. Et je n’arrive pas à joindre les deux bouts.”

Ce qui rend la multiplication des jumeaux à Kodinji encore plus curieuse, c’est qu’elle ne concerne pas qu’une seule communauté. Le village, à majorité musulmane, compte logiquement davantage de jumeaux musulmans, mais les familles hindoues sont également touchées par le phénomène. Et, selon des habitants, des couples qui sont venus s’installer à Kodinji après leur mariage ont eux aussi donné naissance à des jumeaux.

L’alimentation locale serait-elle en cause ? Les villageois affirment ne rien manger ni boire de particulier. Le Dr Sribiju exclut également que ce phénomène soit dû à l’action d’un agent polluant, car la plupart des jumeaux sont nés en bonne santé. Selon lui, il est possible qu’un autre facteur environnemental soit responsable, mais il reste à identifier. Il faudra que généticiens, médecins, écologistes et anthropologues conjuguent leurs efforts pour éclaircir le mystère. En attendant, ce petit village paisible se réjouit de l’attention que lui portent les médias du monde entier et de sa notoriété grandissante.

 

John Mary

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